REPORTAGE – Comme ici dans l’Ain, où leur nombre est passé de 220 à 380 en quelques mois, certains départements ont suspendu l’accueil de ces jeunes dont ils ont la charge.
« Le dispositif explose. » C’est ce constat qui a conduit le département de l’Ain à « suspendre l’accueil des mineurs non accompagnés » face à l’afflux de jeunes migrants, fin 2023. Un coup de tonnerre dans le milieu de la protection de l’enfance. Initié par le Territoire de Belfort, cet acte de désobéissance contre la loi, qui donne aux départements la responsabilité de prendre en charge ces mineurs étrangers non accompagnés (MNA), est inédit. Le Jura ou encore la Vienne, voyant leurs capacités d’accueil saturées, ont pris des décisions similaires.
(…) « Nombre de MNA disposent d’un pécule important – qui peut aller jusqu’à 8 000 euros – car ils ont touché des revenus durant leur apprentissage. Nous avons organisé une réunion avec les bailleurs sociaux pour qu’ils puissent trouver plus facilement des logements », explique Bérangère Novel.
En septembre, après des arrivées massives de MNA durant l’été, ce sont les services de la protection de l’enfance qui ont alerté le président du département, à bout après l’accueil en urgence d’une vague de mineurs migrants à l’hôtel, faute d’autres solutions. L’hébergement hôtelier, qui n’était plus d’actualité, a fait office de roue de secours. « Cela nous a mis très en difficulté. À l’hôtel, les jeunes ne voient quasiment personne. Il n’y a pas d’équipe éducative, de transport. On gérait les repas, les lessives… Le département a fait comme il a pu pour assurer une présence et une astreinte “non officielle” soir et week-end pour les problèmes médicaux. Mais nous ne pouvons pas revivre ça », raconte Bérangère Novel.
« Les professionnels sont débordés, laminés, car ils n’arrivent plus à exercer leur mission. On est conscient que le système risque de craquer. C’est pour cela que j’ai pris la décision de suspendre pour trois mois l’accueil des arrivées directes de MNA », expose Jean Deguerry, président (LR) du conseil départemental de l’Ain et vice-président de Départements de France. Ce dernier évoque aussi une envolée du budget consacré aux mineurs migrants, passé en un an de 5,6 millions à 7,7 millions d’euros. En 2024, la facture pourrait dépasser les 9 millions d’euros
La suspension de l’accueil des jeunes migrants dans l’Ain a été contestée en référé par cinq associations de soutien aux migrants, dont la Ligue des droits de l’homme (LDH). « Dans les départements qui ont un budget excédentaire, comme l’Ain, le choix de ne plus accueillir des enfants n’est pas audible. La protection de l’enfance devrait être une priorité », s’agace Lyes Louffok, militant des droits des enfants placés. À la fin de l’année, le tribunal administratif de Lyon leur a donné raison, jugeant l’annonce du département « contraire au code de l’action sociale et des familles ». Dans l’attente d’un jugement sur le fond, la justice a donc suspendu l’exécution de cette décision. Le conseil départemental se contente aujourd’hui de dire que les prises en charge se font « en fonction des capacités d’accueil ». « Nous savions que la décision serait retoquée. Mais nous avons simplement dit publiquement ce que font d’autres départements de manière informelle. Comme tous les dispositifs sont saturés, les jeunes vont d’un territoire à l’autre. Le message est passé malgré tout et les arrivées ont ralenti… », rétorque Jean Deguerry.
(…) Jean Deguerry met aussi en avant le risque de perte de chance pour les autres mineurs protégés. « Avec un système saturé, on ne peut plus s’occuper de tous les enfants aindinois. Ce n’est pas possible de laisser traîner la mise en œuvre des mesures de protection pour des mineurs en danger. Il fallait un électrochoc », plaide-t-il. Début février, on comptait 28 mesures de placements en attente pour des enfants du département. Et 80 jeunes placés à domicile n’ont pas encore pu bénéficier des interventions prévues d’équipes éducatives. Au service enfance et adoption, on fait le constat d’un dispositif éprouvé par la surcharge et la gestion des « cas complexes ».
(…) Le Figaro
Commenter cet article