Même des experts occidentaux indépendants d’esprit qui devraient être mieux informés ont l’habitude de parler de «désinformation russe» comme d’un facteur contribuant au «brouillard de guerre» en Ukraine et autour de l’Ukraine. La question de savoir quel type de campagne de désinformation russe peut exister alors que presque toutes les chaînes internationales de la Russie sont bloquées par les États-Unis et leurs alliés européens n’effleure manifestement pas l’esprit de ces détracteurs apparemment éclairés de la Russie.
Dans ce contexte, il est tout à fait extraordinaire qu’un cas flagrant de véritable désinformation russe ait été totalement ignoré par les médias occidentaux. Cela s’explique peut-être par le fait que cette désinformation s’adressait avant tout à un public national, en Russie, et non à la scène internationale.
Je pense au discours que le ministre russe de la Défense, Sergei Choïgou, a prononcé devant le conseil d’administration de son ministère. Des extraits de ce discours ont été diffusés sur les chaînes d’information de l’État russe. Les principaux extraits sont les suivants.
Citation :
«Les menaces pesant sur la sécurité militaire de la Russie dans les zones stratégiques de l’Ouest et du Nord-Ouest se sont multipliées.
L’entrée de la Finlande dans l’OTAN et la perspective de l’entrée de la Suède constituent de sérieux facteurs de déstabilisation. Après l’adhésion d’Helsinki à l’Alliance, la frontière terrestre de la Russie avec les pays du bloc a presque doublé.
Sur le territoire de la Finlande, l’OTAN peut placer des contingents militaires susceptibles de détruire des structures extrêmement importantes dans le nord-ouest de la Russie.
À proximité immédiate des frontières de la Russie et de la Biélorussie sont stationnés environ 360 000 hommes en armes de l’OTAN, 8000 chars et autres véhicules blindés, 650 avions et hélicoptères».
Fin de citation
Choïgou a également fait référence à la dernière annonce par la Pologne de son intention de poster 2000 soldats supplémentaires à sa frontière avec la Biélorussie. Il a ajouté que «la Pologne a été utilisée par les États-Unis comme le principal instrument de la politique anti-russe».
L’expansion de l’OTAN cette année et la perspective d’une nouvelle expansion dans un avenir proche sont des faits incontestables. Toutefois, la question de savoir si cela augmente ou réduit la force réelle de l’OTAN dans toute lutte avec la Russie est ouverte à la discussion, comme je le démontrerai dans cet exposé. En attendant, même si les chiffres concernant les forces et les équipements de l’OTAN «à proximité immédiate des frontières de la Russie» cités par Choïgou sont corrects, l’intention agressive qu’il leur attribue relève, selon moi, d’une désinformation excessive.
Certes, la Russie utilise exactement les mêmes calculs de sécurité que ceux qui ont guidé la doctrine militaire américaine depuis les années 1990, à savoir qu’il ne faut prêter attention qu’aux capacités d’un adversaire, et non à ses intentions, qui peuvent être inconnues et qui peuvent changer au fil du temps. Toutefois, dans le cas présent, les intentions de l’Amérique et de l’OTAN sont tout à fait lisibles, comme le montre leur comportement dans la guerre par procuration qui se déroule en Ukraine : les États-Unis font tout leur possible pour éviter de croiser le fer avec les Russes et de déclencher une guerre Russie-OTAN qui pourrait facilement dégénérer en une guerre nucléaire planétaire.
Je pense que le discours de Choïgou était, avant tout, une manœuvre pour s’assurer que son état-major ne s’endort pas à son bureau quand il a le dos tourné. Ils sont actuellement chargés d’élaborer les plans d’un nouveau commandement des forces armées responsable des territoires de l’ouest et du nord-ouest.
Deuxièmement, le discours était destiné à la Douma d’État, afin de rallier les législateurs russes à ce qui sera certainement de nouveaux crédits militaires importants pour soutenir le développement de l’armée. Pour avoir une idée de ce que cela signifie, je me réfère aux remarques faites hier soir dans l’émission «Evening with Vladimir Solovyov» par le général de corps d’armée à la retraite Andrei Gurulyov, membre de la Douma du parti Russie Unie, membre de la commission de la Douma chargée d’examiner les allocations budgétaires pour la défense, membre de la commission de la défense de la Douma. Gurulyov a déclaré aux téléspectateurs que le nouveau commandement militaire nécessiterait un effectif de 800 personnes au quartier général. Cela laisse présager un contingent d’hommes en armes très important et très qualifié.
***
La Russie constituera donc une unité de ses forces armées chargée de défendre la frontière avec la Finlande. Toutefois, je pense que l’adhésion de la Finlande à l’Alliance a créé un résultat sécuritaire négatif net pour l’Alliance plutôt que pour la Russie. Tout cet exercice répète les mêmes stupidités qui ont caractérisé l’adhésion de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie en 2004. Tout le monde savait à l’époque que les États baltes, avec leurs populations dérisoires et leurs armées de soldats de plomb, ne faisaient pas le poids face à la Russie, même lorsque celle-ci ne s’était pas encore remise de ses faiblesses dues à l’implosion économique et organisationnelle des années 1990.
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