Le pogrom d’Istanbul, aussi connu sous le nom d’émeutes d’Istanbul ou de pogrom de Constantinople est un pogrom principalement dirigé contre la minorité grecque d’Istanbul ayant eu lieu les 6 et 7 septembre 1955.
Les émeutes sont orchestrées par la « contre-guérilla » chapeautée par l’armée turque. Elles ont lieu après la diffusion de la nouvelle de l’explosion d’une bombe, la veille, dans le consulat turc de Thessalonique, lieu de naissance de Mustafa Kemal Atatürk1. L’enquête révèle très vite que cet attentat a été réalisé par un Turc dans le cadre d’une opération montée de toutes pièces sous fausse bannière : de l’aveu même du général de corps d’armée Fatih Güllapoğlu, c’est le « département de guerre spéciale » qui planifia cet attentat, impliquant par ailleurs deux attachés du consulat turc arrêtés en flagrant délit par la police grecque. Mais la presse turque n’informe pas le public de cette conclusion.
Des émeutiers en colère, la plupart acheminés par avance en camion dans la ville, prennent d’assaut le quartier grec d’Istanbul pendant neuf heures. Bien qu’ils n’appellent pas explicitement au meurtre de leurs victimes, plus d’une douzaine de personnes décèdent pendant ou après le pogrom, à la suite des bastonnades et des incendies volontaires. Les communautés juives et arméniennes sont elles aussi victimes d’exactions.
Le pogrom accélère le départ des Grecs d’Istanbul : la communauté passe de 135 000 membres avant l’attaque à 7 000 en 19782 et 2 500 en 2006. Selon certains analystes, cet événement s’inscrit dans le processus de nettoyage ethnique commencé durant le déclin de l’Empire ottoman plus que dans le cadre d’un conflit bilatéral entre deux États. Cette fois ce n’est pas, comme dans la période 1912-1922, l’intégrité de la Turquie qui est en jeu, mais la question foncière : à l’époque des faits, environ 40 % des biens fonciers stambouliotes appartiennent aux minorités.
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Commentaire d’Etienne Copeaux, spécialiste de la Turquie sur Susam-Sonkak
Lors de cet événement, les provocateurs ont mêlé la double sacralité d’Atatürk et celle du monument, jouant, sciemment ou non, de la proximité entre celui-ci et le quartier « étranger ». Car, de 1928 à 1955, ce qui se joue est bien la conquête d’un quartier non-musulman, le point final de la conquête (Fetih*) de Constantinople, qui va alors perdre la majeure partie de ceux qui la nommaient ainsi, pour devenir pleinement Istanbul. La première étape, 1928, est une conquête symbolique par mise en place du monument, et la seconde, 1955, est conquête effective, par le saccage du quartier et le « départ » des Rum polites.
Un détail illustre mon interprétation. Sur quelques photos de la nuit du 6 au 7 septembre, on peut voir un groupe d’émeutiers parcourant fièrement la rue Istiklâl en brandissant un portrait du sultan Mehmet le Conquérant (Mehmet Fatih), qui a donné Constantinople aux Turcs et à l’islam en 1453 (Güven et Karaca, 2005, 48-49. Le Sultan est à sa place dans cette manifestation. Ces gens, accompagnés du davul (tambour) des jours de fête, rient et s’amusent, joyeux et sans doute fiers d’accomplir la Fetih.
Cet acte et ce portrait trahissent l’existence d’un « discours latent » ; il s’agit, selon les termes de J.P. Faye, d’une « narration qui va de la périphérie vers le centre, “centre invisible“ sur quoi les narrateurs en action s’interrogent, avant de le voir soudain prendre un nom » (Faye, 1972 : 10). Ici, c’est le discours de la conquête religieuse, qui, par la suite, émergera périodiquement dans le cadre de la Turquie républicaine et « laïque ».
*Au plein sens du mot, Fetih désigne l’ « ouverture » à l’islam, la conquête par et pour l’islam.
Susam Sokak
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