GRAND ENTRETIEN – L’académicien s’inquiète de l’union de la gauche autour de Jean-Luc Mélenchon et de La France insoumise. Le philosophe voit dans cette alliance la trahison de tous les principes fondamentaux de la social-démocratie.
Au-delà de la traditionnelle radicalité anticapitaliste de l’extrême gauche, Alain Finkielkraut pointe le danger d’une dérive communautariste flirtant avec l’islamisme et l’antisémitisme. D’autant plus que la majorité gouvernementale apparaît également, selon lui, ambiguë sur les sujets sociétaux. En témoigne, argumente l’intellectuel, la nomination au ministère de l’Éducation nationale de Pap Ndiaye, dont les travaux et les engagements indiquent une proximité avec les courants idéologiques wokistes et multiculturalistes. En mémoire de Laurent Bouvet, décédé il y a quelques mois, qui avait consacré une grande partie de son œuvre à critiquer l’importation depuis les États-Unis des notions identitaires, Alain Finkielkraut appelle le chef de l’État à adopter une ligne ferme sur la question de la laïcité et à restaurer une école fondée sur le mérite.
LE FIGARO. – Après avoir réussi une percée au premier tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a conclu un accord d’union des gauches écologiste, socialiste et communiste… Le succès de La France insoumise signifie-t-il un retour aux fondamentaux pour la gauche après des années de «social-libéralisme» ou est-ce une trahison?
Alain FINKIELKRAUT. – À votre question, Jean-Luc Mélenchon a répondu sans ambages. C’était en 2019, lors d’un meeting dans la ville devenue «sensible» d’Épinay: «Je n’ai pas peur de le dire, ceux que vous voyez dans ces quartiers, c’est la nouvelle France. Celle sur laquelle nous nous appuierons pour construire et faire tout ce qu’il y a à faire dans ce pays demain, tout changer.» Sans lésiner sur la démagogie, le leader de La France insoumise a donc repris à son compte les aspirations, les aversions et les obsessions de cette «nouvelle France».
En juin 2021, il a annoncé sur France Inter que, dans les dernières semaines de la campagne présidentielle, on verrait, «comme par hasard», un grave incident ou un meurtre, à l’image de ce qui s’est passé en 2012 avec les attentats commis par Mohammed Merah à Montauban ou à Toulouse: «Nous aurons le petit personnage sorti du chapeau, nous aurons l’événement qui va une fois de plus permettre de montrer du doigt les musulmans et d’inventer une guerre civile. Voilà.»
Plus récemment, Jean-Luc Mélenchon s’en est pris à la «meute raciste» qui protestait contre la candidature de Taha Bouhafs aux élections législatives et il n’a pas changé d’avis après les accusations de viol qui ont contraint ce jeune et ambitieux journaliste issu des quartiers à jeter l’éponge. Or à Benoît Hamon, qui, tout en maintenant ses critiques à mon endroit, s’était ému de l’attaque antisémite que j’avais subie de la part de certains «gilets jaunes», Taha Bouhafs avait répondu en ces termes: «Benoît, c’est bientôt le dîner du Crif et t’as pas envie d’être privé de petits fours. Je te comprends.» La France insoumise, c’est, à l’ère de la mystification généralisée du vocabulaire, le nom que se donne la France soumise à l’islamisme, judéophobie incluse.
Par conviction? Non, et c’est peut-être pire: par clientélisme. En s’alliant avec ce parti et en se pliant à ses conditions, les autres gauches ne sont pas revenues à leurs principes fondamentaux. Elles les ont reniés. Il reste à espérer que c’est un mauvais calcul et qu’elles le paieront dans les urnes.
«Le programme de Jean-Luc Mélenchon, c’est trois sorties: la sortie de l’Europe, la sortie de l’Otan et la sortie de l’OMC, qui transformerait la France en Corée du Nord», a estimé Jean-Christophe Cambadélis sur Radio J. Que vous inspirent ces propos?
Cambadélis a raison, mais il oublie une sortie non moins grave: la sortie de la France. Se référant explicitement au poète martiniquais Édouard Glissant, Jean-Luc Mélenchon célèbre la créolisation de notre pays. La créolisation désigne «ce que produit la rencontre et l’entremêlement des cultures. C’est une poussée de vie!». Et Mélenchon précise: «Nous sommes déjà tous des créoles et nous le serons tous encore plus. Certains osent dire que ce n’est pas vrai alors même que la moitié des boutiques ont leur nom écrit en anglais, que tout le monde sur terre regarde les mêmes séries télévisées, que nos meubles sont les mêmes, comme les plats que l’on sert à table…»
Le même, le même, toujours et partout le même. La fin de l’histoire, selon Mélenchon, ce n’est pas la société sans classe, c’est le grand mélange et le grand mélange, c’est l’uniformité du consommateur planétaire. La bienveillance pour l’islamisme, l’antiaméricanisme forcené et la promesse de l’américanisation sont les trois ingrédients du cocktail que La France insoumise veut faire avaler au peuple français.
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