S’agit-il seulement d’un succès tactique, ou ces résultats indiquent-ils une évolution de la société française vers la gauche?
Le score de la Nupes cette année équivaut au résultat cumulé des formations de gauche de 2017 , mais qui, à l’époque, étaient parties chacune sous leurs propres couleurs. L’union n’a donc pas permis de faire progresser arithmétiquement l’audience des gauches, mais elle s’est avérée d’une redoutable efficacité tactique et médiatique, puisqu’elle a placé la Nupes au centre du jeu et a permis à cette coalition de se qualifier au second tour dans plus de 380 circonscriptions. La France insoumise va ainsi envoyer un très gros contingent d’élus à l’Assemblée nationale et faire émerger une génération mélenchoniste, qui s’apparente à une nouvelle garde rouge. Mécaniquement, le centre de gravité de la gauche va se déplacer nettement à gauche et c’est désormais la gauche radicale (les insoumisplus l’aile gauche des Verts) qui va donner le cap, le PS étant réduit à la portion congrue.
Ce changement du rapport de force au sein des gauches étant une autre illustration de la poursuite du bouleversement électoral initié en 2017. Le biotope dans lequel cette génération Mélenchon est élue est composé par les banlieues ( la Nupes devrait réaliser quasiment le grand chelem dans le 93 ) et par les arrondissements de l’Est parisien, où l’immobilier tutoie tout de même les 10.000 euros du m²… Pour sceller cette coalition sociologique de l’électorat banlieusard avec la gauche en baskets Veja et roulant en Vélib’, la Nupes a adopté une ligne mêlant redistribution sociale, luttes intersectionnelles, wokisme et planification écologique, qui l’éloigne des préoccupations des classes moyennes et populaires de la France périphérique.
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Vous soulignez la dynamique du Rassemblement national. N’est-ce pas la première fois dans un scrutin majoritaire à deux tours?
C’est une nouveauté. En 2017, le Rassemblement national n’était présent au second tour que dans 120 circonscriptions, contre plus de 200 cette année. Il consolide son ancrage dans ses fiefs du Nord-Est et du littoral méditerranéen et poursuit sa progression dans d’anciennes terres de mission, notamment dans l’Ouest. C’est le cas par exemple dans la Sarthe, où le RN est au second tour dans 4 circonscriptions sur 5, et en tête dans l’une d’elles, configuration inimaginable il y a quinze ou vingt ans. De la même façon, on note la présence au second tour de deux candidats RN en Charente. En Gironde, une des étoiles montantes du RN, Edwige Diaz, atteint plus de 39 % dans la circonscription du Blayais. Dans cette Gironde périphérique, qui a été un gros foyer de «gilets jaunes», les difficultés sociales sont nombreuses et la population locale ne bénéficie pas du rayonnement de la métropole bordelaise. Le RN s’est historiquement ancré dans les territoires concernés par une immigration et une délinquance importantes, puis dans les régions frappées par la désindustrialisation. Il étend désormais son influence dans la France périphérique et prospère dans des terroirs, jadis de gauche ou de droite, où le sentiment de relégation et de déclassement est puissant.
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L’élection présidentielle fait-elle exception dans ce déclin des mobilisations électorales?
Oui, c’est la seule. Les Français y vont «pour élire le boss». Ils s’investissent dans l’élection du Président, et beaucoup se désintéressent ensuite du reste. Tout se passe comme s’ils élisaient le président du syndic de cette vaste copropriété qu’est la France. On lui délègue la gestion des affaires courantes dont on se décharge totalement, mais s’il prend des décisions importantes concernant la rénovation de la copropriété, on lui fait alors parfois sentir en descendant dans la rue qu’il outrepasse ses prérogatives.
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Peut-on déjà en déduire que le pays sera impossible à réformer et difficile à gouverner dans les cinq ans qui viennent?
La France va être très difficile à gouverner. Quelles sont les marges de manœuvre dans le «pays réel», quand on a une gauche radicale gonflée à bloc et un Rassemblement national à 19 %? Emmanuel Macron et la majorité présidentielle ont sans doute leur part de responsabilité: en nommant aussi tardivement un premier ministre, en éludant la campagne des législatives, le président semblait convaincu qu’il pouvait avoir une large majorité à l’Assemblée sans devoir jouer le match. Moralité, il a laissé un boulevard à ses adversaires et notamment à Jean-Luc Mélenchon qui a pu déployer tout son talent tactique. Du coup, on pourrait avoir un second quinquennat semblable à celui de Chirac entre 2002 et 2007, empreint d’immobilisme. Il n’est pas certain qu’Emmanuel Macron puisse en finir avec le «quoi qu’il en coûte», ou qu’il réussisse à mettre en œuvre sa réforme des retraites (sa précédente tentative s’était soldée par 55 jours de grèves à la SNCF et à la RATP). Les institutions permettent de gouverner, mais pas forcément de réformer en profondeur. Emmanuel Macron a mis en place une politique du «guichet» et même s’il souhaite y mettre fin, il n’est pas sûr qu’il y parvienne.
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