Assa Traoré le poing levé sur son canapé en hauts talons de la marque Louboutin. Publiée sur le compte Facebook du collectif La Vérité pour Adama, la photo s’agrémente d’un texte où la militante antiraciste évoque la mort de son frère Adama «il y a cinq ans entre les mains des gendarmes» avant de conclure sur un lyrique: «Je marcherai dans vos pas à tous les trois (les designers de la maison, NDLR), grandie par cette élégante création qui fait de moi une femme fière de ce que nous construisons ensemble. Justice pour tous». (…) L’affaire paraît si caricaturale qu’elle prête d’abord à sourire, rappelant les outrances de l’antiracisme hollywoodien dépeints par Romain Gary ou l’essai au vitriol de Tom Wolf Radical Chic. Le romancier y décrivait une soirée mondaine donnée par le chef d’orchestre Leonard Bernstein dans son splendide appartement de Park Avenue en l’honneur des Black Panthers. La variation Louboutin apporte toutefois une nuance de poids: après les stars et les grands-bourgeois, ce sont désormais les entreprises qui se saisissent à pleines mains de la puissante bannière de l’antiracisme.
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Au siège de Disney, en Californie, la direction des ressources humaines a par exemple constitué trois groupes affinitaires destinés de facto respectivement aux Latinos, aux Asiatiques et aux Noirs. Les employés blancs étant de leur côté incités à s’interroger entre autres sur les liens entre leur patrimoine et le «racisme structurel de la société américaine».
Stage de quasi-rééducation
Le journaliste Christopher Rufo, à l’origine des révélations sur Disney, a même relaté l’existence dans certains groupes et administrations de stages de quasi-rééducation réservés aux hommes blancs hétérosexuels. Ces combats woke s’imposent au sein des grands groupes, essentiellement constitués de cadres urbains. Ils sont valorisés par les actionnaires institutionnels (fonds d’investissement, fonds de pensions, gestionnaire d’actifs…) qui identifient ces formations à des actions de lutte contre les discriminations, un des piliers de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises. Les sociétés cotées en Bourse tendent alors à s’y convertir pas à pas, avec plus ou moins d’enthousiasme et d’intensité. Ce n’est toutefois pas le cas de l’intégralité du capitalisme américain. Détenue par une famille de fervents chrétiens, la troisième enseigne de restauration rapide du pays, Chick-fil-A, reste par exemple parfaitement hermétique au mouvement. Le groupe conseille à ses franchisés de mener leur établissement «selon les principes de la Bible», ce qui passe notamment par une fermeture le dimanche.
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En France, le modèle universel républicain s’oppose frontalement à ces approches racialistes. La grande majorité des chefs d’entreprise, conscients de cette spécificité, se montrent prudents sur ces sujets et tendent plutôt à freiner l’enthousiasme de leurs jeunes directions de l’éthique et/ou de la diversité. L’intense polémique suscité par un tweet d’Évian s’excusant d’avoir fait la publicité de son eau en pleine journée de ramadan a bien démontré la réactivité épidermique d’une grande partie du public hexagonal devant les approches communautaristes. Les prochaines années, voire les prochains mois, s’annoncent délicates pour les chefs d’entreprise, qui devront naviguer entre les injonctions contradictoires de leur base française et de leurs contreparties anglo-saxonnes. Les crispations risquant de se cristalliser autour de l’épineuse question de la religion en entreprise.
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