Sur la question mémorielle
La France, via son Conseil constitutionnel, a évolué dans sa décision n° 2017-690 QPC du 8 février 2018, en reconnaissant une égalité de traitement des victimes de la guerre d’Algérie permettant le droit à la pension aux victimes civiles algériennes. Je m’en félicite. En agissant de la sorte, la France prouve aux yeux du monde sa grandeur d’Etat de droit y compris vis-à-vis de son ex-colonie, l’Algérie.
[…]Dans votre lettre réponse, vous reconnaissez : «Les crimes de la colonisation sont incontestables et qu’ils font partie du passé dont la France est dépositaire.»
En 2017, candidat à la Présidence de la République française, vous avez qualifié et c’est toute à votre honneur, la colonisation «de crimes contre l’humanité» et de «vraie barbarie».
Cette affirmation vous honore, car c’est une avancée incontestable qui met en lumière l’imprescriptibilité de ces crimes ignobles commis par la France en Algérie.
[…]Cette espérance commune que vous souhaitez ne pourra se faire par un solde de tout compte ou par quelques concessions symboliques. Elle ne peut être effective que par une réparation politique et financière des crimes et dommages coloniaux français en Algérie.
Les conclusions de mon cher confrère Benjamin Stora ne pourront être crédibles si la question de la réparation politique et financière est occultée. Il ne peut y avoir une reconnaissance des crimes contre l’humanité commis en Algérie par la France et dans le même temps tourner le dos aux réparations des préjudices subis.
[…]SUR LE MONTANT DE LA RÉPARATION
J’en suis convaincu, la France ne pourra échapper à son obligation de réparer financièrement les crimes et les dommages coloniaux qu’elle a commis en Algérie durant plus de 130 années. Le montant de la réparation ? Je l’évalue à 100 milliards d’euros et qui devra être précisé par les futures commissions de spécialistes…
[…]La France ne peut échapper à cette réparation intégrale car sa responsabilité est pleinement engagée. D’une part, c’est une question de dignité et d’identité des Algériens qui ne s’effacera jamais de la mémoire collective de cette nation. C’est pourquoi, les jeunes générations, et vous en avez été le témoin à votre grand étonnement lors de votre passage à Alger en 2017, ne cesseront d’interpeller la France et l’Algérie sur cette question mémorielle. Le président Tebboune a raison lorsqu’il instaure le 8 Mai comme Journée nationale de la mémoire et lorsque son conseiller Abdelmajid Chikhi affirme : «L’Algérie attend toujours de la partie française de reconnaître sa part de responsabilité pour les crimes commis durant la guerre d’indépendance en Algérie ; ainsi que durant les 132 ans de colonisation.» A contrario, je ne comprends pas quand il maintient en détention les nombreux activistes du hirak qui sont la mémoire et l’avenir de l’Algérie alors qu’il aurait pu aisément dans un souci d’apaisement les gracier et entamer un véritable dialogue.
Sur la nature de cette réparation, la France devra suivre le chemin parcouru par les grandes nations démocratiques, comme l’Italie qui, en 2008, a indemnisé la Libye à hauteur de 3,4 milliards d’euros pour l’avoir colonisée de 1911 à 1942, mais aussi : l’Angleterre avec le Kenya, les Etats-Unis et le Canada avec les Amérindiens, ou encore l’Australie avec les aborigènes. L’Allemagne a accepté, depuis 2015, le principe de responsabilité et de réparation de ses crimes coloniaux avec les Namibiens, mais bute sur le montant de l’indemnisation. Avec le risque pour l’Allemagne d’une action en justice devant la Cour pénale internationale (CPI) du gouvernement namibien, avec l’assistance d’un groupe d’avocats britanniques et la demande de 30 milliards de dollars de réparations pour le génocide des Ovahéréro et des Nama.
La France elle-même s’est fait indemnisée de l’occupation allemande durant la Première et Seconde Guerres mondiales à hauteur de plusieurs milliards d’euros. Au même titre, l’Algérie indépendante doit pouvoir être réparée des crimes contre l’humanité et dommages qu’elle a subis de 1830 à 1962. Le temps presse, cette question mémorielle doit s’apaiser car les mémoires souffrent, alimentant une grande part du poison français et de relations souvent ombrageuses avec les Algériens.
[…]L’article dans son intégralité sur El Watan
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